Carnet de Bord


25/07
26
27
28
29
30
31
1/08
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25

Jeudi 2 Août 2001

Le Canyon rouge, merveille de la nature

  Voyage sur la seule voie ferrée du pays et découverte, à pied, d'un site magnifique : le Canyon rouge. Le soir, accueil chez des habitants vraiment sympathiques.

  Prendre le train nous demande de nous lever alors que le soleil n'a pas encore commencé le boulot. Après Paris, c'est le second départ important du voyage : on quitte Bichkek pour trois semaines, on part pour l'inconnu, pour le coeur du pays. La vraie aventure va commencer. Par contre, nous attendons tous ce moment avec impatience. Malgré l'appréhension classique, on est bien contents de quitter la ville pour aller se plonger dans les sommets, et grimper jusqu'aux lacs.

On nous offre à manger dans le train

  Le train présente une première particularité : il ne dépasse pas les 40 km/heure (à vue de nez). Pour des gens pas pressés comme nous, c'est l'idéal. Bien que petits, nos yeux ne peuvent que s'émerveiller des chaînes de montagnes que nous longeons, des gens dans les gares, des maisons, de la raffinerie, bref, nous vivons l'image même du voyage, de l'ailleurs : le rythme paisible du train, des langues inconnues en bruit de fond, la vie qui s'éveille petit à petit, dans les villages et les campagnes...

  L'aménagement du train est étudié pour être très pratique, mais peu confortable. Les dossiers des sièges sont de simples parois dures. Par contre, la banquette se soulève pour permettre de ranger des bagages, et une autre banquette peut s'abaisser au dessus des têtes des voyageurs assis, permettant d'y empiler d'autres sacs, ou bien, aussi, de s'y allonger. Tranquille.

  Pour le petit déjeuner, comme bien souvent, nous nous sommes contentés d'acheter du pain (ce sont des nans, pains ronds, comme on en trouve jusqu'en Inde). Même si c'est un peu sec, ces nans nous plaisent vraiment. Rémi et Jay échangent deux mots avec leurs voisins (enfin, surtout Rémi) : ce sont des jeunes de nos âges et des enfants, certainement les leurs. Ils jouent aux cartes en écoutant des cassettes sur un gros poste qu'ils trimballent avec eux. Ils ne se montrent pas trop curieux. Pourtant, quand ils sortent les gamelles pour (petit) déjeuner, ils n'hésitent pas à nous proposer de quoi manger. Cela nous surprend vraiment. Imaginez la jeune femme qui demande son pain à Jérémie («Ah bon, vous voulez du pain, mais vous avez déjà plein de gamelles sur la table ?», pense le touriste étonné). Il lui tend toutefois, et le voit revenir avec une platée de mouton en sauce épicée (les pains gonflés sur les bords peuvent servir d'assiette). Il est 8h du matin ! On nous propose même la vodka pour accompagner. Personne ne se sent assez fort pour attaquer la journée de cette manière...

  Un peu plus tard, on achètera un complément de restauration aux vendeuses ambulantes qui montent entre deux arrêts.
D'autres Kirghizes sont plus intrigués par notre présence. La contrôleuse remet un mot à Jérémie, écrit en anglais. «Hi guys ! Would you like to chat with us ? Girls...» Waouh, un message comme quand on était au collège ! Avec du mystère autour. On rigole bien, on se demande où se cachent nos futures interlocutrices. On réécrit un message. On attend. Une fillette de 11 ans nous redonne un message, on lui donne le nôtre. Bref, après un petit jeu de tourne autour, les deux filles se jettent à l'eau et viennent nous rencontrer. Elles sont étudiantes, et sont tout heureuses de parler anglais avec des Occidentaux.

  La question se pose de savoir où descendre. Nous connaissons le nom (Krasnaia Riechka, la rivière rouge), mais ça ne suffit pas. Rémi part en quête de renseignements. Les gens sont serviables, s'interrogent sur le lieu, s'accordent pour dire que c'est dans deux arrêts, préviennent la contrôleuse.

Un cabanon pour gare

  On arrive. Le train s'arrête. Rémi descend, seul... et le train s'ébranle aussitôt. Les quatre autres sont dans le wagon. Gestes, cris. La contrôleuse ressort son drapeau, la loco finit par s'arrêter 100 mètres plus loin. Ouf ! Tout le monde descend, les cinq sont au complet. Dans le train, ça a créé de l'animation. Plein de gens aux fenêtres nous saluent, hilares. Fin du premier acte.

  Nous nous trouvons dans une vallée encaissée. Il y a la rivière, la route qui joint la capitale au lac Issyk Koul, et les rails. Et là, sur les 200 m de large, quatre maisons. Natacha, qui nous a conseillé la balade, nous a aussi dit de nous adresser à une famille qu'elle connaît, pour nous héberger. On décide d'aller se poser à l'ombre au bord de la rivière, d'y manger. Cela nous permet d'une certaine manière d'observer et d'être observés. D'un côté, on prend le pouls du lieu, de l'autre, on sait que les habitants nous aurons remarqués. Parenthèse : les indiens navajos ont ce genre d'habitude. C'est du moins ce que raconte le romancier Tony Hillerman. Certains vivent isolés, dans le désert. Quand un visiteur arrive (on l'a donc vu et entendu arriver), il attend dehors que l'hôte soit prêt à le recevoir. Cette politesse nous paraît adaptée à notre situation.

  Nous commençons par faire connaissance de la chef de gare et de son mari. Elle dispose, pour toute gare, d'une casemate avec de quoi faire chauffer de l'eau. Son mari pêche des poissons dans la rivière. Une fois le train passé, ils repartent. Pas trop crevant comme job. Par contre, on ne doit pas devenir milliardaire non plus. Ils nous proposent d'utiliser leur plaque électrique (il faut voir les fils raccordés à la prise !) pour chauffer nos nouilles. Puis ils nous offrent le thé. En échange, nous leur donnons une photo polaroïd prise sur la voie ferrée, sur le pont qui enjambe la rivière.

  Rémi et Etienne s'en vont ensuite rencontrer les habitants, ceux dont nous a parlés Natacha. Devant cette maison, il y a plein de monde. On s'adresse à une jeune fille qui dit oui pas de problème et qui part traverser le chemin et rentre dans une autre maison ! On repose la question à une autre femme. Elle semble aussi d'accord pour nous accueillir, mais laisse beaucoup de silences. Est-elle intimidée ? Ennuyée ? Est-ce la bonne personne à qui s'adresser ? C'est dérangeant. Toutefois, on comprend qu'il n'y a pas de problème pour laisser nos sacs l'après-midi, le temps de découvrir le Canyon rouge dont la vallée commence juste derrière.

  Nous rejoignons les autres. Une dame du village, amie de la chef de gare, vient nous proposer sa maison (la troisième du «hameau») pour dormir. C'est propre et il y a de la place, des tapis à étaler dans les pièces relativement vides. Mais nous nous sommes engagés... Désolés.

Retour auprès de la famille

  Cette fois-ci, on a bien repéré qui est la maîtresse de maison. Les discussions reprennent. Tout s'éclaircit : c'est d'accord pour laisser les sacs l'après-midi, c'est d'accord pour dormir. Puisqu'il y a beaucoup de monde dehors, on se dit qu'on pourrait leur proposer une photo souvenir, pour les remercier d'avoir accepté nos demandes (et parce qu'on -Etienne- se porte ce putain d'appareil énorme juste pour des occasions comme celle-là). Nous sortons donc notre Polaroïd, avec, tout de même, cette interrogation sur la manière dont ces gens vont interpréter notre geste. Surtout s'ils sont comme ceux d'Ala Archa, avec une webcam cachée sous la paille.

  Mais notre séance photo déclenche une bonne humeur générale. Tout d'abord, toute la famille au complet est rapatriée sur le perron de la maison pour la cause. Quatre générations viennent pauser : enfants, filles, maris, beauf', etc... Une « simple » photo pour nous représente beaucoup plus pour nos hôtes. Osera-t-on faire la comparaison avec les photos du début du siècle chez nous ? Oui, d'une certaine manière. Quand on n'a pas la technologie, c'est toujours un évènement lorsqu'elle se présente.

  Ensuite, le côté « photo-magique-qui-apparaît-progressivement » qui nous plaît tant dans les polaroïds contribue à mettre une joyeuse pagaille dans la cour. L'arrière-grand-père tout souriant s'accapare l'image sortie de l'appareil, et alors que tous veulent voir, il s'en va plus loin, une troupe de jeunes à ses basques. Devant un tel moment d'allégresse, nous « sacrifions » une seconde photo (près de 2 € pièce, rappelons-le). Autre moment émouvant : le vieux couple (en particulier l'arrière-grand-mère, qui semblait très faible) attendant à deux le verdict de la nouvelle photo.

  Finalement, on prend quelques renseignements sur la randonnée à faire, et c'est parti ! Fin du 2e acte.

La bonne surprise à la fin de la rando

  Le canyon est une vallée presque asséchée. Un filet d'eau de quelques dizaines de centimètres de large y serpente. Nous marchons vers l'amont, nous enfonçant de plus en plus entre les montagnes encaissées. La vallée se rétrécit. Le paysage n'a rien de comparable avec ce que nous avons vu à Ala Archa. On est sur un terrain plus aride, rocailleux, sauf bien sûr là où l'eau passe, faisant pousser la végétation. Nous avançons, nous faufilant entre des parois de plus en plus serrées, taillées à la serpe. Nous arrivons à une cascade impossible à contourner. A peine une heure de marche. Cette escapade est sympathique mais laisse un arrière-goût d'inachevé. Nous rebroussons chemin. Trois gouttes orageuses ont à peine eu le temps de nous inquiéter : le grand beau soleil nous accompagne désormais. Là où la vallée s'élargit, nous décidons de profiter de l'après-midi et de jouer au frisbee au milieu de ce décor somptueux. Quelle agréable sensation ! Sans être vraiment en plein désert, on se sent toutefois seuls, loin des autres hommes. La montagne semble s'offrir à nous, exclusivement, juste pour nous faire plaisir. Certes, si on nous l'avait demandé, on l'aurait partagée... mais il n'y a personne qui revendique une telle chose alors que nous nous amusons au soleil (et que Chris s'émerveille des araignées et de leurs toiles dont la géniale architecture n'a pas été troublée pendant des siècles, dirait-on. L'araignée s'abrite dans un trou dans la terre d'où sort la toile tissée sous forme de tunnel, d'entonnoir, qui s'étend ensuite en demi-cercle sur un rayon de 50 cm environ).

  Notre aire de jeu se trouve à l'intersection de deux vallées. La deuxième certainement creusée par un affluent de la première. La curiosité n'est pas toujours un vilain défaut. Puisqu'il nous reste du temps avant la tombée de la nuit, nous partons voir à quoi ressemble le monde de ce côté-ci. De cours d'eau, on ne voit plus la trace, tout juste on la devine ici ou là. On sent l'humidité affleurer par endroit. On remonte une gorge, tout est très sinueux, étroit, les parois plus jaunes, plus hautes. Au milieu de ces roches, on a l'impresssion d'être nulle part, de vivre un présent pur. Notre passé, même proche, semble lointain et irréel ; quant au futur, nous ne savons pas où nous allons...
L'horizon finit par s'élargir. Curieux, alors qu'on remontait vers la source... Peut-être l'a-t-on passée ? Au loin, on aperçoit un pylône. La magie a rompu son charme. On s'apprête à rebrousser chemin (l'heure est plus avancée désormais) lorsque la vraie surprise nous tombe dessus.

  Devant nous, un cirque rouge orangé, des pitons sculptés par les vents. Tout de suite ressurgissent des images d'Australie, d'Arizona. C'est idiot, mais on n'avait pas de clichés kirghizes en tête, exceptées les yourtes dans les verts alpages. C'est du bonheur à l'état pur. On est comme des gosses. On remonte les arroyos sableux, on escalade les buttes, on les dévale dans un nuage de poussière, on évite un serpent de justesse, on s'extasie devant ces orgues ciselées par la nature, par les couleurs changeantes des roches à mesure que l'astre solaire décline, on perd Etienne qui ne veut plus rentrer, on le retrouve, on le ligote, euh, non, tout de même. On se convainc qu'il faut y aller car la nuit n'est vraiment plus très loin.

  Ce cadeau final a été d'autant plus beau qu'on ne s'y attendait pas. On a hésité à vous en révéler l'existence, à la fois parce que vous n'en aurez pas la même surprise si vous y allez, ce sera plus fade, et aussi parce qu'on ne voudrait pas que cela devienne un lieu de pélerinage pour touristes. Le truc aussi, c'est que nous n'avons jamais vu l'Arizona, et si on a bien compris, notre Canyon rouge à côté, c'est du petit joueur...

Moustiques affamés et soupe dégeu

  Retour serein. Nous mangeons dans la cuisine de nos hôtes. C'est une petite pièce aménagée à l'extérieur de la maison, autour du poêle, à côté de la basse-cour. Nous mangeons nos propres réserves pour ne pas léser ces gens visiblement pauvres. La soupe turque en poudre que nous avons achetée se révèle inbuvable : elle a le goût des aliments pour poissons (vous savez, ça sent cette odeur dans les rayons des magasins spécialisés, ou chez Casto...). On se contente de nos pâtes. Ce repas devient un vrai calvaire avec l'arrivée en masse d'une colonie de moustiques voraces. Chacun de nous, sauf Antoine l'ami des insectes, en tue une dizaine, mais se retrouve avec autant de piqûres.
  On se réfugie vite dans la maison. Elle est composée de 4 pièces. La famille nous en laisse deux, et dort dans une autre. On est gênés : on ne sait pas s'ils se serrent parce qu'on est là. Toutefois, on a compris qu'une partie des gens que nous avons vus l'après-midi (gendres, belles-filles, oncle, ou autres ?) vivent dans la maison voisine. Les pièces ne comportent que quelques placards le long des murs. Un canapé. Pas de table, pas de chaises, mais des tapis pliés que l'on étale le soir pour dormir... comme dans une yourte.


2
3
4
5
6
7
8
9