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Carnet de Bord |
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Jeudi 2 Août 2001 Le Canyon rouge, merveille de la nature Voyage sur la seule voie ferrée du pays et découverte, à pied, d'un site magnifique : le Canyon rouge. Le soir, accueil chez des habitants vraiment sympathiques. Prendre le train nous demande de nous lever alors que le soleil n'a pas encore commencé le boulot. Après Paris, c'est le second départ important du voyage : on quitte Bichkek pour trois semaines, on part pour l'inconnu, pour le coeur du pays. La vraie aventure va commencer. Par contre, nous attendons tous ce moment avec impatience. Malgré l'appréhension classique, on est bien contents de quitter la ville pour aller se plonger dans les sommets, et grimper jusqu'aux lacs. On nous offre à manger dans le train Le train présente une première particularité : il ne dépasse pas les 40 km/heure (à vue de nez). Pour des gens pas pressés comme nous, c'est l'idéal. Bien que petits, nos yeux ne peuvent que s'émerveiller des chaînes de montagnes que nous longeons, des gens dans les gares, des maisons, de la raffinerie, bref, nous vivons l'image même du voyage, de l'ailleurs : le rythme paisible du train, des langues inconnues en bruit de fond, la vie qui s'éveille petit à petit, dans les villages et les campagnes...
L'aménagement du train est étudié pour être très pratique, mais peu confortable. Les dossiers des sièges sont de simples parois dures. Par contre, la banquette se soulève pour permettre de ranger des bagages, et une autre banquette peut s'abaisser au dessus des têtes des voyageurs assis, permettant d'y empiler d'autres sacs, ou bien, aussi, de s'y allonger. Tranquille. Pour le petit déjeuner,
comme bien souvent, nous nous sommes contentés d'acheter du
pain (ce sont des nans, pains ronds, comme on en trouve jusqu'en Inde).
Même si c'est un peu sec, ces nans nous plaisent vraiment. Rémi
et Jay échangent deux mots avec leurs voisins (enfin, surtout
Rémi) : ce sont des jeunes de nos âges et des enfants,
certainement les leurs. Ils jouent aux cartes en écoutant des
cassettes sur un gros poste qu'ils trimballent avec eux. Ils ne se
montrent pas trop curieux. Pourtant, quand ils sortent les gamelles
pour (petit) déjeuner, ils n'hésitent pas à nous
proposer de quoi manger. Cela nous surprend vraiment. Imaginez la
jeune femme qui demande son pain à Jérémie («Ah
bon, vous voulez du pain, mais vous avez déjà plein
de gamelles sur la table ?», pense le touriste étonné).
Il lui tend toutefois, et le voit revenir avec une platée de
mouton en sauce épicée (les pains gonflés sur
les bords peuvent servir d'assiette). Il est 8h du matin ! On nous
propose même la vodka pour accompagner. Personne ne se sent
assez fort pour attaquer la journée de cette manière... Un peu plus tard, on achètera
un complément de restauration aux vendeuses ambulantes qui
montent entre deux arrêts. La question se pose de savoir où descendre. Nous connaissons le nom (Krasnaia Riechka, la rivière rouge), mais ça ne suffit pas. Rémi part en quête de renseignements. Les gens sont serviables, s'interrogent sur le lieu, s'accordent pour dire que c'est dans deux arrêts, préviennent la contrôleuse. Un cabanon pour gare On arrive. Le train s'arrête.
Rémi descend, seul... et le train s'ébranle aussitôt.
Les quatre autres sont dans le wagon. Gestes, cris. La contrôleuse
ressort son drapeau, la loco finit par s'arrêter 100 mètres
plus loin. Ouf ! Tout le monde descend, les cinq sont au complet.
Dans le train, ça a créé de l'animation. Plein
de gens aux fenêtres nous saluent, hilares.
Fin du premier acte. Nous nous trouvons dans une vallée
encaissée. Il y a la rivière, la route qui joint la
capitale au lac Issyk Koul, et les rails. Et là, sur les
200 m de large, quatre maisons. Natacha, qui nous a conseillé
la balade, nous a aussi dit de nous adresser à une famille
qu'elle connaît, pour nous héberger. On décide
d'aller se poser à l'ombre au bord de la rivière,
d'y manger. Cela nous permet d'une certaine manière d'observer
et d'être observés. D'un côté, on prend
le pouls du lieu, de l'autre, on sait que les habitants nous aurons
remarqués. Parenthèse : les indiens navajos ont ce
genre d'habitude. C'est du moins ce que raconte le romancier Tony
Hillerman. Certains vivent isolés, dans le désert.
Quand un visiteur arrive (on l'a donc vu et entendu arriver), il
attend dehors que l'hôte soit prêt à le recevoir.
Cette politesse nous paraît adaptée à notre
situation. Nous commençons par faire
connaissance de la chef de gare et de son mari. Elle dispose,
pour toute gare, d'une casemate avec de quoi faire chauffer de
l'eau. Son mari pêche des poissons dans la rivière.
Une fois le train passé, ils repartent. Pas trop crevant
comme job. Par contre, on ne doit pas devenir milliardaire non
plus. Ils nous proposent d'utiliser leur plaque électrique
(il faut voir les fils raccordés à la prise !) pour
chauffer nos nouilles. Puis ils nous offrent le thé. En
échange, nous leur donnons une photo polaroïd prise
sur la voie ferrée, sur le pont qui enjambe la rivière. Rémi et Etienne s'en
vont ensuite rencontrer les habitants, ceux dont nous a parlés
Natacha. Devant cette maison, il y a plein de monde. On s'adresse
à une jeune fille qui dit oui pas de problème
et qui part traverser le chemin et rentre dans une autre maison
! On repose la question à une autre femme. Elle semble
aussi d'accord pour nous accueillir, mais laisse beaucoup de
silences. Est-elle intimidée ? Ennuyée ? Est-ce
la bonne personne à qui s'adresser ? C'est dérangeant.
Toutefois, on comprend qu'il n'y a pas de problème pour
laisser nos sacs l'après-midi, le temps de découvrir
le Canyon rouge dont la vallée commence juste derrière. Nous rejoignons les autres. Une dame du village, amie de la chef de gare, vient nous proposer sa maison (la troisième du «hameau») pour dormir. C'est propre et il y a de la place, des tapis à étaler dans les pièces relativement vides. Mais nous nous sommes engagés... Désolés. |
Cette fois-ci, on a bien repéré qui est la maîtresse de maison. Les discussions reprennent. Tout s'éclaircit : c'est d'accord pour laisser les sacs l'après-midi, c'est d'accord pour dormir. Puisqu'il y a beaucoup de monde dehors, on se dit qu'on pourrait leur proposer une photo souvenir, pour les remercier d'avoir accepté nos demandes (et parce qu'on -Etienne- se porte ce putain d'appareil énorme juste pour des occasions comme celle-là). Nous sortons donc notre Polaroïd, avec, tout de même, cette interrogation sur la manière dont ces gens vont interpréter notre geste. Surtout s'ils sont comme ceux d'Ala Archa, avec une webcam cachée sous la paille. Mais notre séance photo déclenche
une bonne humeur générale. Tout d'abord, toute la famille
au complet est rapatriée sur le perron de la maison pour la
cause. Quatre générations viennent pauser : enfants,
filles, maris, beauf', etc... Une « simple »
photo pour nous représente beaucoup plus pour nos hôtes.
Osera-t-on faire la comparaison avec les photos du début du
siècle chez nous ? Oui, d'une certaine manière. Quand
on n'a pas la technologie, c'est toujours un évènement
lorsqu'elle se présente. Ensuite, le côté « photo-magique-qui-apparaît-progressivement » qui nous plaît tant dans les polaroïds contribue à mettre une joyeuse pagaille dans la cour. L'arrière-grand-père tout souriant s'accapare l'image sortie de l'appareil, et alors que tous veulent voir, il s'en va plus loin, une troupe de jeunes à ses basques. Devant un tel moment d'allégresse, nous « sacrifions » une seconde photo (près de 2 € pièce, rappelons-le). Autre moment émouvant : le vieux couple (en particulier l'arrière-grand-mère, qui semblait très faible) attendant à deux le verdict de la nouvelle photo. Finalement, on prend quelques renseignements sur la randonnée à faire, et c'est parti ! Fin du 2e acte. La bonne surprise à la fin de la rando Le canyon est une vallée
presque asséchée. Un filet d'eau de quelques dizaines
de centimètres de large y serpente. Nous marchons vers l'amont,
nous enfonçant de plus en plus entre les montagnes encaissées.
La vallée se rétrécit. Le paysage n'a rien de
comparable avec ce que nous avons vu à Ala Archa. On est sur
un terrain plus aride, rocailleux, sauf bien sûr là où
l'eau passe, faisant pousser la végétation. Nous avançons,
nous faufilant entre des parois de plus en plus serrées, taillées
à la serpe. Nous arrivons à une cascade impossible à
contourner. A peine une heure de marche. Cette escapade est sympathique
mais laisse un arrière-goût d'inachevé. Nous rebroussons
chemin. Trois gouttes orageuses ont à peine eu le temps de
nous inquiéter : le grand beau soleil nous accompagne désormais.
Là où la vallée s'élargit, nous décidons
de profiter de l'après-midi et de jouer au frisbee au milieu
de ce décor somptueux. Quelle agréable sensation ! Sans
être vraiment en plein désert, on se sent toutefois seuls,
loin des autres hommes. La montagne semble s'offrir à nous,
exclusivement, juste pour nous faire plaisir. Certes, si on nous l'avait
demandé, on l'aurait partagée... mais il n'y a personne
qui revendique une telle chose alors que nous nous amusons au soleil
(et que Chris s'émerveille des araignées et de leurs
toiles dont la géniale architecture n'a pas été
troublée pendant des siècles, dirait-on. L'araignée
s'abrite dans un trou dans la terre d'où sort la toile tissée
sous forme de tunnel, d'entonnoir, qui s'étend ensuite en demi-cercle
sur un rayon de 50 cm environ). Notre aire de jeu se trouve à
l'intersection de deux vallées. La deuxième certainement
creusée par un affluent de la première. La curiosité
n'est pas toujours un vilain défaut. Puisqu'il nous reste du
temps avant la tombée de la nuit, nous partons voir à
quoi ressemble le monde de ce côté-ci. De cours d'eau,
on ne voit plus la trace, tout juste on la devine ici ou là.
On sent l'humidité affleurer par endroit. On remonte une gorge,
tout est très sinueux, étroit, les parois plus jaunes,
plus hautes. Au milieu de ces roches, on a l'impresssion d'être
nulle part, de vivre un présent pur. Notre passé, même
proche, semble lointain et irréel ; quant au futur, nous ne
savons pas où nous allons... Devant nous, un cirque rouge orangé,
des pitons sculptés par les vents. Tout de suite ressurgissent
des images d'Australie, d'Arizona. C'est idiot, mais on n'avait pas
de clichés kirghizes en tête, exceptées les yourtes
dans les verts alpages. C'est du bonheur à l'état pur.
On est comme des gosses. On remonte les arroyos sableux, on escalade
les buttes, on les dévale dans un nuage de poussière,
on évite un serpent de justesse, on s'extasie devant ces orgues
ciselées par la nature, par les couleurs changeantes des roches
à mesure que l'astre solaire décline, on perd Etienne
qui ne veut plus rentrer, on le retrouve, on le ligote, euh, non,
tout de même. On se convainc qu'il faut y aller car la nuit
n'est vraiment plus très loin. Ce cadeau final a été d'autant plus beau qu'on ne s'y attendait pas. On a hésité à vous en révéler l'existence, à la fois parce que vous n'en aurez pas la même surprise si vous y allez, ce sera plus fade, et aussi parce qu'on ne voudrait pas que cela devienne un lieu de pélerinage pour touristes. Le truc aussi, c'est que nous n'avons jamais vu l'Arizona, et si on a bien compris, notre Canyon rouge à côté, c'est du petit joueur... Moustiques affamés et soupe dégeu Retour serein. Nous mangeons dans
la cuisine de nos hôtes. C'est une petite pièce aménagée
à l'extérieur de la maison, autour du poêle, à
côté de la basse-cour. Nous mangeons nos propres réserves
pour ne pas léser ces gens visiblement pauvres. La soupe turque
en poudre que nous avons achetée se révèle inbuvable
: elle a le goût des aliments pour poissons (vous savez, ça
sent cette odeur dans les rayons des magasins spécialisés,
ou chez Casto...). On se contente de nos pâtes. Ce repas devient
un vrai calvaire avec l'arrivée en masse d'une colonie de moustiques
voraces. Chacun de nous, sauf Antoine l'ami des insectes, en tue une
dizaine, mais se retrouve avec autant de piqûres. |