La Kirghizie - La Yourte



La yourte : l’âme des peuples nomades d’Asie centrale

  On retrouve la yourte dans l’immense Mongolie, dans les steppes sans fin du Kazakhstan et dans les verts alpages kirghizes. Après les politiques de sédentarisation menées sous l’ère soviétique, les tchabanes, les bergers kirghizes, retrouvent aujourd'hui les joies d'un semi-nomadisme. Les Kirghizes sont restés fortement attachés à ce mode de vie rythmé par l’élevage des animaux. Dès notre arrivée, nous avons été fixés : le bus qui nous conduisait sur une quatre-voies de l’aéroport Manas au centre de Bichkek a dû s’arrêter pour laisser passer un troupeau de bovins conduits par des cow-boys à cheval, John Wayne d’un autre continent, aux yeux bridés, à la peau dorée.


  La yourte (bosuy en kirghize) est un symbole culturel fort pour le Kirghizistan. Elle est représentée sur le drapeau national. Dans le parc d’Ala-Archa, qui domine Bichkek, le promeneur peut apercevoir entre les sapins, à l’écart du sentier, la yourte blanche du président de la République. Ici, les résidences secondaires ne sont pas des châteaux... Les cimetières croisés le long des routes en disent long : certains mausolées sont une armature de yourte. Le Kirghize décédé repose symboliquement sous le toit qui l’a accompagné toute sa vie.

  Les Kirghizes utilisent les yourtes depuis le VIe siècle. Aujourd’hui, ils y vivent lorsqu’ils montent dans les alpages (jailoos) pour la belle saison. Nous avons dormi dans ces tentes circulaires près du lac Köl-Köt, au-dessus de Kotchkor, à 3800 mètres d’altitude. La famille qui nous a accueillis travaillait avec le réseau Sheperd’s life. Elle disposait donc d’une seconde yourte, conjointe à la sienne, pour loger les visiteurs (forme de gîte rural local...). Cinq gaillards comme nous n’auraient, de toute façon, pas pu se caser dans une yourte où vivent déjà cinq ou six personnes.

  Malgré cette disposition liée à notre statut de touristes, nous avons pris le temps de partager un bout de vie d’Aslanbek et de sa famille. Nous avons également rendu visite à leurs voisins, dont les yourtes étaient égayées à près de 500 mètres de là.


  Le nomadisme existe par le cheval et pour le cheval. Un Kirghize est inséparable de sa monture. La première raison est que le cheval passe là où aucun véhicule ne pourrait rouler. Pour atteindre les alpages, il faut franchir des cols que la route n’atteint pas. L’ami à quatre pattes (le 4x4 local, donc) fait office de bac là où n’existe aucun pont. A Köl Köt, le jeune Islan nous a pris en croupe à tour de rôle pour nous permettre de traverser le tumultueux et large torrent qui nous séparait de la yourte de ses parents. Ce même Islan est étudiant en informatique à Bichkek et parle anglais. L’été finissant, il redescendait des prairies avec son cheval harnaché de deux bidons de khumis, pour retrouver les bancs de la fac.

  Cette utilisation du cheval ne nous surprend pas, nous l’avons connue par le passé dans nos contrées. Par contre, le cheval est aussi pour les Kirghizes, un animal d’élevage. Ni pour la course, ni pour le trait, mais pour le lait. C’est à partir du lait des juments qu’on fabrique le khumis. Là-haut, les juments n’ont pas d’écurie ni de salle de traite : elles sont simplement attachées entre elles le long d’une corde, puis relâchées en liberté pour la journée. Les clôtures sont naturelles : torrents, ravins, pierriers...

  Laissé à fermenter dans une barrique, le khumis est légèrement alcoolisé. Son goût est acidulé, un peu aigre, on le sent presque pétillant. Les éleveurs Kirghizes en boivent à longueur de journée, pour se désaltérer. Aslanbek et son frère s’amusaient de voir le fiston de 8 ans, Batelbek présenter des petits symptômes d’ivresse : rire facile, regard un poil trouble, après qu’il a bu deux bols de khumis. Une bonne humeur communicative.


  On peut difficilement refuser une offrande, surtout de la part de gens qui possèdent peu. A Köl Köt, Jérémie a bu son bol de khumis avec un sourire forcé mais poli, et pourtant cette boisson l’a ensuite rendu malade une bonne partie de la nuit. Les estomacs d’Occidentaux ne sont pas toujours tout terrain.

  Par trois fois, nous sommes rentrés sous des yourtes lors de notre voyage. Partout, la famille qui nous accueillait nous a proposé un bol de khumis. Bien sûr, notre statut de touristes a pu fausser les comportements, mais cette offrande présente des similitudes frappantes avec la tradition des nomades touaregs du Sahara qui proposent au visiteur qui passe le pas de leur tente, un bol de lait de chamelle.


  La yourte est circulaire. Elle possède un orifice au sommet de sa voûte qui permet de laisser entrer le soleil ou de laisser s’échapper la fumée du petit poêle à bois. Lorsqu’il pleut, on peut reboucher cette ouverture avec un morceau de feutre que l’on replace à l’aide d’une corde qui pend à l’extérieur. Si le feutre était du plastique, on dirait qu’on bâche ou débâche en fonction du temps qu’il fait.

  Les températures en altitude varient toujours beaucoup. Autant le khumis rafraîchit, autant quand vient le froid du soir ou la bruine, on se réchauffe en buvant du thé. Hérité des Russes, le samovar trône aux côtés de la maîtresse du lieu. Il est chauffé de l’intérieur avec des braises. Très bel objet, le samovar n’est toutefois qu’une réserve d’eau chaude et non une fontaine à thé, comme on pourrait le croire. Le thé, lui, est infusé dans une petite théière séparée. Très fort, on en verse une dose dans le fond du bol, comme on le fait pour du sirop ou du pastis, que l’on dilue ensuite avec l’eau prise au robinet du samovar. Là encore, on note des ressemblances avec les coutumes touaregs et le thé à la menthe que les femmes font bouillir longuement afin de donner un élixir plein d’amertume.

  Les Kirghizes des alpages au bord du lac sont à la fois éleveurs, pêcheurs et chasseurs. Peu de temps avant notre arrivée aux yourtes de Köl Köt, le frère d’Islan avait tué un loup. Islan, avec qui nous avons sympathisé, était très fier de nous montrer la dépouille, et a tenu à offrir un souvenir à Etienne : une des canines du loup.


  La vie dans la yourte est régie par certaines habitudes ancestrales : les visiteurs sont invités à prendre place dans la partie la plus éloignée de la porte d’entrée, généralement orientée vers l’est. C’est la place d’honneur, celle du maître du lieu, également. Il n’y a pas de table, une toile cirée est étendue sur le sol, là même où les habitants dorment ensuite. Pendant la journée, les tapis sont empilés dans le fond de la yourte, juste derrière nous, les invités. Généralement, on peut distinguer le coin des femmes et celui des hommes, bien que la yourte ne possède qu’une seule pièce. A droite, en entrant se trouve l’espace de cuisine, c’est à dire, principalement le poêle et le samovar. Les aliments sont entreposés près de la porte. La baratte de khumis aussi.

  Les repas que nous avons eu l’occasion de prendre sur place étaient principalement à base de viande de mouton épicée, de riz, de pâtes et de pain (lepiochka, pain plat et rond en forme de crêpe, cuit sur le poêle, qui ressemble au naan indien). Ce sont des plats que l’on retrouve dans tout le pays : lagman, manti, etc.


  Sédentarisés, les Kirghizes gardent des habitudes issues de la vie nomade. Les gens qui nous ont hébergés à Krasnoia Riechka vivent dans une maison de 4 pièces. Seule l’arrière grand-mère malade a un lit. Le reste de la famille dort par terre, dépliant le soir ces fameux tapis, faits de feutre très coloré (chyrdak) ou en laine pressée (ala-kiyiz). Dans la maison, peu de meubles, seulement quelques placards et une petite table. Par contre, dans un coin de la cuisine, trône en bonne place, un tonneau de khumis. Cette famille résidant au bord de la route importante reliant Bichkek au lac Issyk Kool, elle a monté une yourte sur un parking : un moyen de vendre khumis et tapis aux touristes. La yourte est symbole, la yourte est devenue un objet de folklore. D’ailleurs, à Karakol existe un camping de yourtes, à l’attention des touristes Occidentaux. A chacun ses mobile-homes...