Géopolitique


Asie Centrale, champ de guerres

Ahmed Rashid
Édition Autrement, 2002

  Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan : telle est la nouvelle focalisation d'Ahmed Rashid, auteur de L'ombre des taliban et spécialiste mondialement reconnu de l'Asie centrale qu'il parcourt et analyse depuis plus de vingt ans.
  L'auteur a rencontré entre 1988 et 2001 les principaux acteurs - hommes politiques, chefs militaires et opposants - de ces cinq républiques turbulentes, largement ignorées en Occident jusqu'à aujourd'hui, il en dresse un portrait précis et alarmant.
  Après l'Afghanistan "redécouvert" brutalement, c'est un nouveau champ de guerres potentiel que nous décrit Ahmed Rashid, en analysant l'histoire de ces terres concurrentes confrontées à la montée d'un islam radical. Certaines de ces républiques possèdent des stocks d'armes nucléaires hérités de l'uRss, des ressources énergétiques importantes au cœur des stratégies politico-financières de la Russie, de la Chine et des États-Unis.
  Une fois encore, les volcans ne sont pas éteints et cette zone géographique peut bousculer l'équilibre mondial.


  Ce journaliste pakistanais qui a couvert l’Afghanistan pendant 20 ans, propose une vue limpide (facile à lire) de la montée de l’islam fondamentaliste dans la vallée du Fergana. Il y décrit les trois principales mouvances de l’islam radical dans cette région : le PRI, le Hizb utTahrir et surtout le Mouvement Islamique d’Ouzbékistan et de son leader Namangani. Il prédit des choses inquiétantes avec un message clef : « L'Asie centrale a de grandes chances d'être le prochain champ de bataille de la planète. » Il estime que l’après-communisme a favorisé la montée des islamistes intégristes. « Les dirigeants ont refusé d'envisager des réformes démocratiques ou économiques dans ces pays qui avaient perdu leur principal soutien économique (l'Union soviétique) ; cette attitude, jointe à la répression de la religion, a poussé les modérés et les réformateurs dans le camp des radicaux.(...) L'une des plus grandes menaces pour la stabilité du Tadjikistan - et de toute l'Asie centrale - est le Mouvement islamique d'Ouzbékistan (MIO). Formé en 1998 par des extrémistes déçus par la modération du Parti de la renaissance islamique et résolus à renverser le gouvernement d'Islam Karimov, le MIO a lancé des actions de guérilla contre le régime depuis ses bases, au Tadjikistan et en Afghanistan, en 1999, en 2000 et en 2001. Sous le commandement militaire du charismatique Juma Namangani, le MIO a étendu son djihad à toute l'Asie centrale. La cible privilégiée des assauts répétés de Namangani est la vallée de Fergana, partagée entre l'Ouzbékistan, le Kirghizistan et le Tadjikistan. Chacun de ces trois pays est désormais l'objet d'une menace militaire directe. Le Kazakhstan a même renforcé ses dépenses militaires en prévision d'une possible guerre. Pendant ce temps, la concurrence se poursuit entre les Etats-Unis, la Russie et la Chine, chacun offrant aide militaire, conseils et entraînement aux différentes armées nationales, ce qui laisse présager un avenir de plus en plus sombre. Les grandes puissances, en revanche, ne font pas grand-chose pour améliorer les terribles conditions économiques, politiques et sociales de ces pays, puisqu'elles n'interviennent pas contre la politique menée par les divers régimes. Le résultat est que le MIO se développe. Namangani recrute désormais des dissidents dans tous les grands groupes ethniques d'Asie centrale, ainsi que des Tchétchènes, des Daghestanais du Caucase et des Ouïgours musulmans de la région autonome du Xinjiang, en Chine. Alors qu'il ne propose guère plus que la déposition des régimes en vigueur et l'institution de la charia, le MIO est devenu un groupe transnational. Ce qui est clair, c'est que les problèmes de l'Asie centrale sont avant tout internes et qu'ils ne seront pas résolus simplement en triomphant du MIO. Le manque de réforme ou de développement économique, l'absence de démocratie, la centralisation d'une bureaucratie d'esprit soviétique, la corruption et le cynisme, tout cela rend la situation de plus en plus fragile. »
  Ces citations sont des extraits du livre publiés par Courrier international lors de la parution d’ «Asie centrale, champ de guerre» (n° 591, 28/02/2002). On peut le trouver dans les archives du journal sur le site www.courrierinternational.com. Pour nous, c’est pratique, ça évite de tout recopier manuellement ;-) et cela représente surtout un bon résumé du bouquin si vous ne voulez pas vous le farcir.

  Pour la géopolitique proprement dite, un chapitre est consacré au « nouveau Grand jeu ». Ahmed Rashid précise qu’il le traite plus en détail dans un autre ouvrage, « L’ombre des Talibans », Autrement, 2001. Mais déjà, il donne plusieurs faits éclairants sur les intérêts des Etats-Unis, de la Russie, de la Chine, de la Turquie et des pays voisins sur la région. Il revient aussi sur les relations, euh, fraternelles qu’entretient l’Ouzbékistan avec la Kirghizie. Il écrit : « L’Ouzbékistan veut depuis longtemps faire du Kirghizistan un Etat vassal, et Karimov (le président ouzbek) à l’habitude d’insulter le président Akayev (kirghize, donc). En février 1999, il a annoncé sur la radio ouzbek que la situation au Kirghizistan était chaotique parce que son président ne savait que sourire bêtement. « Le Kirghizistan est un pays pauvre et mon travail ne consiste pas à m’occuper des gens » proclama Karimov. Le président ouzbek est convaincu que les auteurs des attentats de Tachkent s’étaient réfugiés en territoire kirghize. En les poursuivant, la sécurité ouzbek avait franchi la frontière sans permission pour arrêter à Och des citoyens kirghizes appartenant à l’ethnie ouzbek. L’Ouzbékistan suspend périodiquement ses livraisons de gaz à Bichkek, pose des mines et des barbelés le long de la frontière avec le Kirghizistan et arrête l’irrigation dans la partie kirghize de la vallée du Fergana. La presse et le Parlement kirghizes ciritiquent régulièrement Karimov et accuse le président Akayev de capituler devant lui, mais Akayev ne peut pas faire grand chose. Le Kirghizistan est entièrement dépendant de ressources énergétiques extérieures, et l’Ouzbékistan exporte environ 15% de sa production annuelle de gaz vers le Kirghizistan, le Kazakhstan et le Tadjikistan. Quasiment sans défense face à l’Ouzbékistan, le Kirghizistan s’est tourné vers la Russie pour obtenir son appui diplomatique. Cet appui n’est pas venu. La Russie reprochait déjà à Akayev sa dépendance envers l’Occident, et Moscou ne souhaitait pas déplaire à l’Ouzbékistan pour contenter le minuscule Kirghizistan. Suite à ces pressions, et aux incursions du MIO, Akayev est devenu de plus en plus autoritaire, à la fois pour satisfaire ses voisins et pour faire taire l’opposition. Il dépense maintentant les maigres réserves de devises de son pays pour l’armée kirghize au lieu de rembourser la dette étrangère et de mettre en place des programmes de développement économique. Le Kirghizistan continue à subir les offensives du MIO, mais cela n’inquiète guère ses voisins où la Russie. » Ahmed Rashid détaille aussi les politiques mises en places par la Chine voisine, qui a formé avec les pays d’Asie centrale et la Russie un pacte économique, militaire et de sécurité. Le Forum de Shanghaï a pour principal souci de « combattre les forces du séparatisme, du terrorisme et de l’extrémisme. » La Chine, elle, s’inquiète surtout des vélléités rebelles des Ouïgours du Xinjiang.