Géopolitique


Géopolitique
revue de l’Institut International de géopolitique,

n°79 : « Caucase et Asie Centrale », Eté 2002

  Cette revue de haut vol décortique les mécaniques des affaires internationales de ces régions : les influences des puissances, les Américains, les Indiens (les vrais), les militaires, le pétrole, l’islamisme.

 

  Deux articles peuvent retenir notre attention pour ce qui concerne le Kirghizistan. Tous offrent un nouveau regard sur le pays et nous permettent de relativiser ce qu’on croit en connaître (islam, corruption, pétrole, etc.). Le premier - « Asie Centrale : dix ans après la chute de l’URSS ou pourquoi repenser la tradition » - est signé de Catherine Poujol, maître de conférences à l’Institut national des langues et civilisations orientales. L’auteure démonte certaines idées reçues ou du moins répétées un peu partout. Tandis que beaucoup voient dans cette région un nouveau « Grand jeu » des puissances (y compris dans d’autres articles de la revue), Catherine Poujol tempère en s’interrogeant : « La région n’a-t-elle pas retrouvé son rôle historique de zone-tampon susceptible de stopper les lames d’instabilité venues d’ailleurs ? Il semble peu probable qu’elle puisse, à elle seule, directement mettre en péril la stabilité de la Chine de l’Inde ou de la Russie », répondant là à Ahmed Rashid (lire juste avant) qui considérait l’Asie Centrale comme « vitale pour la stabilité de l’Asie du Sud-est, du Moyen-Orient, de la Chine et de la Russie, en bref, de la planète ». (Interview diffusée dans les médias en mars 2002).
  C. Poujol ajoute que les hydrocarbures, présentés comme la cause de l’intérêt de toutes les grandes puissances pour la région, posent le délicat problème de leur transport, et donc de leur coût. Et donc, ne sont peut-être pas si primordiales qu’on le dit. Par ailleurs, elle juge que les Occidentaux méconnaissent les sociétés des peuples d’Asie centrale. On sous-estime la capacité de résistance passive, tant au communisme qu’à l’islam, des populations. Par ailleurs, il est faux de dire que l’islam a disparu pendant 70 ans, il s’est simplement adapté. Dans les années 80, rappelle-t-elle, le pouvoir soviétique et l’islam fondamentaliste se sont alliés pour tenter d’éradiquer l’islam populaire.
  Autre point : malgré la panade dans laquelle se trouvent ses pays aujourd’hui, on sous-estime également la nostalgie du soviétisme chez les anciens. « Il n’est guère souhaitable de trop simplifier » insiste-t-elle. Dans la querelle d’experts, on ne peux juger lequel a plus raison que l’autre. Toutefois, cette approche différente, ce regard sociologique pour aborder des questions stratégiques nous paraîssent salutaires. Le second texte est original : « L’Asie Centrale et l’Occident vue par une étudiante kirghize à Paris ». Si le thème ne présente pas de surprises - Damira Abdrakhmanova regrette le regard qu’on porte sur son pays -, ses remarques et son analayse contribue justement à changer notre perception, et, dans le même esprit que ce que préconise Catherine Poujol, apprendre à relativiser. La jeune fille s’est étonnée de voir des Français lui demander s’il y avait des voitures dans son pays ou si les gens se déplaçaient à cheval. Pour avoir entendu des Américains poser la même question au sujet de la France, nous pensons qu’il n’y a pas là de quoi s’inquiéter (oui, c’est un peu fataliste comme remarque). Mais ce qui nous intéresse, c’est ce qu’elle dit, elle, Damira. Et elle commence par signaler que les Occidentaux rêvent à partir des livres d’Ella Maillart ou Joseph Kessel, alors que ces gens sont des voyageurs du passé (euh... nous rappelons donc, qu’il faut bien les considérer comme tels dans notre bibliographie...). De là, on veut tous voir les villes, genre Samarcande dont le nom et les dômes dorés sont si beaux, « à l’exclusion de tout le reste. » Très juste. Mais, cher lecteur, si tu souhaites aller en Kirghizie, où ne se trouvent pas ces cités magiques, c’est que tu es déjà passé au-dessus de cette barrière psychologique.
  Bref, Damira Abdrakhmanova critique surtout les médias qui ne voient que le mauvais côté de son pays, et qui n’évoquent pas les responsabilités des puissances étrangères dans la situation inquiétante de l’économie locale, l’hypocrise des Etats-Unis, les dangers de la dette, etc. De même, elle dénonce l’image de l’islam menaçant donné par les médias occidentaux. Le plus intéressant à nos yeux, loin de l’éternel débat sur le pouvoir des médias, est la question des jeunes qu’elle aborde en deuxième partie. Elle s’inquiète de leur perte de repères, du chômage, de la dégradation de l’éducation. Certains peuvent être séduits par les nationalismes montants. Damira Abdrakhmanova espère que ne surviendra pas une crise du type yougoslave (une suggestion que nous n’avions pas lue jusqu’à présent). Quant aux jeunes qui réussissent, ils n’ont qu’une envie, c’est partir à l’étranger. Ce n’est pas avec ça qu’un pays se renforce... Malgré tout, elle conclut : « L’Asie centrale n’est qu’au début de sa construction. Elle doit compter sur elle-même, et sur ses jeunes. »