Deux
articles peuvent retenir notre attention pour ce qui concerne
le Kirghizistan. Tous offrent un nouveau regard sur le pays
et nous permettent de relativiser ce qu’on croit en connaître
(islam, corruption, pétrole, etc.). Le premier - «
Asie Centrale : dix ans après la chute de l’URSS
ou pourquoi repenser la tradition » - est signé
de Catherine Poujol, maître de conférences à
l’Institut national des langues et civilisations orientales.
L’auteure démonte certaines idées
reçues ou du moins répétées un peu
partout. Tandis que beaucoup voient dans cette région
un nouveau « Grand jeu » des puissances (y compris
dans d’autres articles de la revue), Catherine Poujol tempère
en s’interrogeant : « La région n’a-t-elle
pas retrouvé son rôle historique de zone-tampon
susceptible de stopper les lames d’instabilité
venues d’ailleurs ? Il semble peu probable qu’elle
puisse, à elle seule, directement mettre en péril
la stabilité de la Chine de l’Inde ou de la Russie
», répondant là à Ahmed Rashid (lire
juste avant) qui considérait l’Asie Centrale comme
« vitale pour la stabilité de l’Asie du Sud-est,
du Moyen-Orient, de la Chine et de la Russie, en bref, de la
planète ». (Interview diffusée dans les
médias en mars 2002).
C. Poujol ajoute que les hydrocarbures, présentés
comme la cause de l’intérêt de toutes les
grandes puissances pour la région, posent le délicat
problème de leur transport, et donc de leur coût.
Et donc, ne sont peut-être pas si primordiales qu’on
le dit. Par ailleurs, elle juge que les Occidentaux méconnaissent
les sociétés des peuples d’Asie centrale.
On sous-estime la capacité de résistance passive,
tant au communisme qu’à l’islam, des populations.
Par ailleurs, il est faux de dire que l’islam a disparu
pendant 70 ans, il s’est simplement adapté. Dans
les années 80, rappelle-t-elle, le pouvoir soviétique
et l’islam fondamentaliste se sont alliés pour
tenter d’éradiquer l’islam populaire.
Autre point : malgré la panade dans laquelle
se trouvent ses pays aujourd’hui, on sous-estime également
la nostalgie du soviétisme chez les anciens. «
Il n’est guère souhaitable de trop simplifier »
insiste-t-elle. Dans la querelle d’experts, on ne peux
juger lequel a plus raison que l’autre. Toutefois, cette
approche différente, ce regard sociologique pour aborder
des questions stratégiques nous paraîssent salutaires.
Le second texte est original : « L’Asie Centrale
et l’Occident vue par une étudiante kirghize à
Paris ». Si le thème ne présente pas de
surprises - Damira Abdrakhmanova regrette le regard qu’on
porte sur son pays -, ses remarques et son analayse contribue
justement à changer notre perception, et, dans le même
esprit que ce que préconise Catherine Poujol, apprendre
à relativiser. La jeune fille s’est étonnée
de voir des Français lui demander s’il y avait
des voitures dans son pays ou si les gens se déplaçaient
à cheval. Pour avoir entendu des Américains poser
la même question au sujet de la France, nous pensons qu’il
n’y a pas là de quoi s’inquiéter (oui,
c’est un peu fataliste comme remarque). Mais ce qui nous
intéresse, c’est ce qu’elle dit, elle, Damira.
Et elle commence par signaler que les Occidentaux rêvent
à partir des livres d’Ella Maillart ou Joseph Kessel,
alors que ces gens sont des voyageurs du passé (euh...
nous rappelons donc, qu’il faut bien les considérer
comme tels dans notre bibliographie...). De là, on veut
tous voir les villes, genre Samarcande dont le nom et les dômes
dorés sont si beaux, « à l’exclusion
de tout le reste. » Très juste. Mais, cher lecteur,
si tu souhaites aller en Kirghizie, où ne se trouvent
pas ces cités magiques, c’est que tu es déjà
passé au-dessus de cette barrière psychologique.
Bref, Damira Abdrakhmanova critique surtout les
médias qui ne voient que le mauvais côté
de son pays, et qui n’évoquent pas les responsabilités
des puissances étrangères dans la situation inquiétante
de l’économie locale, l’hypocrise des Etats-Unis,
les dangers de la dette, etc. De même, elle dénonce
l’image de l’islam menaçant donné
par les médias occidentaux. Le plus intéressant
à nos yeux, loin de l’éternel débat
sur le pouvoir des médias, est la question des jeunes
qu’elle aborde en deuxième partie. Elle s’inquiète
de leur perte de repères, du chômage, de la dégradation
de l’éducation. Certains peuvent être séduits
par les nationalismes montants. Damira Abdrakhmanova espère
que ne surviendra pas une crise du type yougoslave (une suggestion
que nous n’avions pas lue jusqu’à présent).
Quant aux jeunes qui réussissent, ils n’ont qu’une
envie, c’est partir à l’étranger.
Ce n’est pas avec ça qu’un pays se renforce...
Malgré tout, elle conclut : « L’Asie centrale
n’est qu’au début de sa construction. Elle
doit compter sur elle-même, et sur ses jeunes. »
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