Notre synthèse des évènements

Revue de Presse


Avril 2005

Le printemps des tulipes... avec les épines des roses

  C'est peut-être la première fois depuis son indépendance en 1991 que le Kirghizistan a trouvé une place dans les journaux de 20h : le peuple a fait sa révolution et renversé le président Askar Akaiev. Cela s'est passé le 24 mars dernier.

    Nous n'entrerons pas dans les détails ici. Rappelons toutefois que cette révolution a été déclenchée à la suite du scrutin législatif qui s'est déroulé en février-mars. L'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) avait dénoncé des fraudes, l'opposition kirghize également. Le foyer de la révolte est parti du sud du pays : des contestataires ont d'abord manifesté puis occupé des bâtiments administratifs pendant plusieurs jours à Och et Djalalabad,

    D'abord ouvert à d'éventuelles discussions (21/03), le président Akaev a ensuite tenu le discours inverse (22/03). Le jeudi 24, tout a basculé. À Bichkek, des milliers de manifestants, notamment venus du sud en car, ont pris d'assaut la Maison blanche, siège du gouvernement. Akaev avait fui. Le lendemain, le Parlement portait provisoirement à la tête du pays l'un des leaders de l'opposition, l'ancien Premier ministre Kourmanbek Bakiev, lequel annonçait la tenue d'élections présidentielles anticipées le 10 juillet prochain.

    Comprendre les enjeux n'est jamais aisé. L'opinion occidentale a interprété ce bouleversement comme la suite du vent de démocratie qui souffle dans les anciennes républiques soviétiques (après la Géorgie et l'Ukraine). S'il est vrai que ces événements marquent l'affaiblissement de l'emprise russe sur la géopolitique de la région, il semble présomptueux d'espérer l'installation d'une démocratie à l'Européenne. Le quotidien russe Izvestia notait qu'il y a eu des morts. C'est la première différence de taille avec les « révolutions » précédentes (Courrier international du 24 mars). Cette révolution reflète un antagonisme entre le Nord et le Sud du Kirghizistan. Les pillages qui ont accompagné les manifestations à Bichkek en témoignent, et sont aussi la conséquence de la crise économique dans laquelle est plongé le pays. Cette passation de pouvoir par la force changera-t-elle les habitudes, la corruption des dirigeants ? L'opposition est « un assemblage un rien volatil composé de grands barons du Sud et d'anciens piliers du régime » rappelle un article du Asia Times Online (traduit dans le Courrier international du 31 mars).

    L'auteur de cet article, Pepe Escobar, envisage deux évolutions possibles, pour le moins inquiétantes. Au sud vit une minorité ouzbèk. Dans la vallée du Ferghana (partagée entre Ouzbékistan et Kirghizistan) se développe l'islamisme dur du Mouvement islamique d'Ouzbékistan et du Hizb ut-Tahir. Cette révolution pourrait s'accompagner d'une progression de ces groupes dans la région, par-delà les vallées (vers le Kazakhstan au nord, le Tadjikistan au sud et chez les Ouïgours de Chine à l'Est). Il est vrai toutefois que la pratique de l'islam des Kirghizes est loin d'être fervente et l'islam radical se heurtera peut-être à une résistance culturelle. Par contre, l'autre scénario imaginable, selon l'analyste, est celui d'une guerre civile, comparable à celle qui a déchiré le Tadjikistan entre 1992 et 1997. Aïe ! On a du mal à imaginer les verts alpages se rougir du sang de ces habitants... Pourtant, la violence en Kirghizie n'est pas si loin. Rappelons-nous les affrontements meurtriers de 1990... entre Ouzbekes et Kirghizes. Heureusement, on n'en est pas là. Espérons que les élections de juin pourront calmer le jeu. Nous suivrons cela avec intérêt et tâcherons de vous tenir au courant de l'évolution de la situation.

    Il reste un élément difficile à évaluer : le jeu des grandes puissances. Les Etats-Unis sont présents en Kirghizie depuis leur guerre en Afghanistan. Les Russes ont également installé, durablement dit-on, une base là-bas. Et la Chine souhaite en faire autant. De nombreuses organisations oeuvrant pour la démocratie sont soutenues par les Etats-Unis. De leur côté, les Russes, bien que dépassés par les derniers événements, conservent de forts intérêts. N'oublions pas non plus qu'une forte minorité de la population est Russe (ces descendants de « colons » blancs ne vous diront, d'ailleurs, jamais qu'ils sont Kirghizes mêmes s'ils vivent là depuis des générations). Dès le 26 mars, Vladimir Poutine assurait au nouveau président par intérim qu'il était prêt venir en aide au pouvoir pour stabiliser la situation du pays. Moscou a cependant aussi accueilli Askar Akaev en exil.

    Difficile enfin de prévoir l'impact d'un tel bouleversement et de telles images auprès des populations des pays voisins soumises à des régimes bien plus autoritaires que celui de l'ancien président kirghize. Mais peut-être que la chape de plomb qui pèse dans ces pays sera-t-elle trop lourd à soulever ? Et si cela se faisait, ce pourrait être avec une forte poussée d'islamisme (dont les sympathisants sont fortement muselés, en particulier en Ouzbékistan). Toutefois, cela ne laisse personne indifférent. Le président kazakh Noursoultan Nazarbaiev déclare qu'il va tirer les leçons de ce qui s'est passé chez son voisin, où « la faiblesse du pouvoir » a permis de renverser les autorités. En Biélorussie, les gouvernants ont condamné fermement la prise de pouvoir par l'opposition...

    Et le 26 mars, plus à l'Est, en Mongolie, plus d'un millier de personnes ont manifesté pour demander plus de démocratie en scandant : « Le combat des contestataires du Kirghizistan a conduit à la victoire ».

    Nous ne sommes pas des spécialistes. Toutes ces informations sont issues d'articles de presse collectés principalement les 24 et 25 mars dans les quotidiens français et dans les semaines qui ont suivi dans les hebdos et mensuels. À défaut de tout retrouver sur l'Internet, vous pourrez rechercher les originaux dans une bibliothèque. À noter, un décompte heure par heure des événements en Kirghizie figure dans les archives du site du Nouvel Observateur ( http://archquo.nouvelobs.com ). Nous ne savons pas combien de temps cela restera en ligne.