L'analyse de René Cagnat

Ex-Consul Honoraire de France à Bichkek
Ex Professeur de l'Université de Bichkek
Page Web Personnelle


Le Ferghana file du mauvais coton

   Le triangle équilatéral OCH-ANDIJAN-DJALLALABAD, de 50 km de côté seulement, devient-il, à la frontière ouzbéko-kirghize et à l’extrémité orientale du Ferghana un triangle infernal ? Début mars Djallalabad a explosé, donnant en Kirghizie le signal de la révolution des tulipes. A la mi-mars ce fut le tour d’Och de passer à la révolution. Le 13 mai, enfin, la grande ville ouzbèke d’Andijan (300 000h.) s’est soulevée à l’appel d’une obscure secte musulmane « l’Akromie », partisane d’un musulman dévot Akramdjon Youldachev emprisonné depuis sept ans déjà dans les geôles du Président Karimov.
  Cette secte-confrérie, animée de bonnes intentions, notamment celle de donner du travail aux chômeurs, n’aurait guère inquiété chez nous. Il ne pouvait en aller de même en Ouzbékistan où le Système dictatorial d’Islam Karimov se sent menacé –à juste titre – par tout mouvement social qu’il ne contrôle pas. Aussi, depuis février, un jugement était-il mené, sans justice et sans ménagement –selon la tradition locale- contre 23 malheureux accusés d’être « akromistes ». Cela intervenait dans une situation déjà explosive à laquelle les événements d’Och et de Djallalabad n’étaient pas étrangers. Cette conjonction de la misère et d’une persécution religieuse a servi d’étincelle à une explosion d’autant plus impressionnante qu’elle s’est produite dans un Ferghana ouzbek plutôt calme : ce calme qui précède les tempêtes...
  De 20 à 30 « Akromistes » présumés mais armés se sont donc emparés de la prison, libérant au moins deux mille prisonniers, notamment politiques, et déclenchant un jour de révolte vite réprimée. Karimov n’avait pas le choix : il fallait écraser dans l’oeuf le soulèvement sous peine de le voir s’étendre à tout l’Ouzbékistan où la population, misérable et exploitée, est « à cran ». Ce qui fut fait.
  L’ordre règne donc. Mais pour combien de temps ? On peut se poser la question tant le Système karimovien (conjonction d’un appareil administratif écrasant et de forces de coercition impitoyables) paraît incapable de se réformer et d’aller au peuple. A quand la prochaine révolte et la prochaine répression ? Le phénomène est d’autant plus inquiétant que, dans la région du Ferghana ouzbek et kirghize, des maffias sévissent qui ont intérêt pour leurs trafics, notamment celui de la drogue, à répandre l’insécurité, à créer une « zone grise ». Qui a armé les « Akromistes » ? Qui a répandu aussi vite l’anarchie à toute une grande ville ? Qui a su si bien mobiliser instantanément le pauvre peuple d’Andijan ? Beaucoup de questions aux réponses incertaines qui pèsent sur l’avenir. Décidément le Ferghana, qu’il soit ouzbek ou kirghize, file du mauvais coton !

René Cagnat, 14/5/05